lundi 16 juin 2008

Le monde à l'envers


D'abords des chiffres (1) :
- En dix ans, le nombre de milliardaires (en dollars) a été multiplié par cinq sur la planète.
- Carlos Slim, second homme le plus riche de la planète possédait, en 2007, 67 milliards de dollars, en hausse de près de 740 % par rapport à 2000. Au Mexique, d'où est originaire ce monsieur, 40 % de la population doivent se contenter de moins de deux dollars par jour.
- Petits salaires en France : un salarié travaillant à temps plein sur deux a gagné moins de 1 484 euros net par mois, en 2005.
- Gros dividendes en France : les plus grandes entreprises – celles du CAC 40 – ont affiché des profits records en 2004, distribué des dividendes tout aussi explosifs et quasiment gelé les salaires. Pour Total, les dividendes versés ont grimpé de 15 % et les salaires de 2,2 % ; pour la Société générale, les chiffres sont respectivement de 32 % et 2,7 % ; pour Renault, de 28,5 % et de 4,6 % (pour 2004-2005)... (Sources : Les Echos, La Tribune.)
-En France toujours, en 2007 l'administration fiscale a comptabilisé 61 400 assujettis à l'Impot de Solidarité sur la Fortune (l'I.S.F) de plus qu'en 2006 ! et ce malgré le relèvement du seuil d'imposition. Le seuil patrimonial de l'I.S.F correspondant à 63 années de smic.
- Outre-Atlantique, 1% des Américains détiennent à eux seuls le tiers du patrimoine national.
- La fortune cumulée de l’ensemble des millionnaires de la planète, rapporte Pierre Rimbert, s’élève à 50 000 milliards de dollars, c’est-à-dire trois fois et demi le produit intérieur brut américain ou cinquante fois le montant des pertes occasionnées par la crise financière ouverte en 2007 et décrite comme la plus grave depuis 1929.
Vive la répartition ! (2) Et après ça, ''travaillez plus pour gagner plus'' nous dit notre chère président qui a fait passer son salaire d'environ 6000 euros à 20 000 euros par mois... parce qu'il travaille plus que les anciens président bien sûr. De même que nos chères députés qui ont vu leurs nombres de semestres payés, dans le cas où ils ne sont pas réélus, passer de un à dix ! (3) Autrement dit il s'agit d'une sorte d'assurance chômage garantie sur cinq ans pour tout député non réélu...(4).

Et vive le mérite ! comme nous dit encore notre chère président. A l'image de ces patrons et actionnaires qui ''méritent'' leurs revenus annuels se comptant en dizaines de millions d'euros. Ou plus modestement de vous ou moi qui gagnons en moyenne plus de 10 fois ce que gagne un Roumain ou plus de 50 fois ce que gagnent les travailleurs les plus pauvres de notre planète : pourquoi le mériterions-nous ?

''Que s'est-il donc passé le 6 mai 2007 ?'' (5). Nous avons élu celui qui ''allait régler une bonne fois pour toute le problème de ceux qui abusent du système'', voici la croyance en forme d'argument qui était répandue et qui est à l'origine de l'élection de Mr Sarkozy. Argumentaire qui, selon les discours de ce dernier, faisait référence aux chômeurs qui ''abusent'' de l'allocation chômage, aux patients qui ''abusent'' du système de santé, aux personnes âgées qui ''abusent'' de leur retraite, aux immigrés qui ''abusent'' de notre marché du travail, aux français d'origine étrangère qui ''abusent'' de notre bonté pour nous demander à être traités comme nos égaux, aux classes moyennes et pauvres qui ''abusent'' des acquis sociaux, etc.

Nous accusons les pauvres de nous voler la richesse...alors qu'ils sont pauvres. Ce sont les riches qui nous le disent et nous les écoutons. Mais le pire c'est qu'ainsi nous faisons nous-mêmes fonctionner le système : en tant que citoyen français, quel que soit notre situation, nous faisons partie de la part des plus riches de la planète, mais nous accusons les Africains pauvres de venir voler notre travail, nous accusons les Chinois pauvres de polluer notre environnement et nous accusons les Arabes pauvres de nous terroriser. Alors que ce sont nos entreprises et nos gouvernements qui spolient l'Afrique, qui délocalisent leur production en Chine (pour économiser sur le prix de la main d'oeuvre et sur le coût des restrictions environnementales et de sécurité, tout en méprisant le coût écologique énorme des transports induits) et qui sèment la zizanie dans les pays arabes (nous avons redessiné la carte des pays arabes, nous leurs avons vendu des armes et continuons à le faire, et nous nous attachons à influencer leur politique pour garder main-mise sur le pétrole).

Nos entreprises ont cette influence et nous consommons leur produit. Notre gouvernement a cette influence et nous votons pour lui. Nous avons donc une part de responsabilité dans les conséquences induites, ou dit autrement, nous avons un réel pouvoir d'influence.

Je repose la Question : Qui abuse qui ?
Réponse : Les riches abusent les pauvres.
Solution : Une meilleure répartition.

Ou mieux, une remise en cause du concept de ''richesse''. Selon la conception actuelle, ''richesse'' veut dire : Abondance de biens, de moyens, de revenus; état, condition d'une personne qui possède des biens très importants, qui a beaucoup de ressources, de revenus. Mais une autre définition existe où la ''richesse'' est le caractère de ce qui est de grand prix, de grande valeur, de ce qui est précieux. Ainsi si l'on changeait de paradigme et si le centre de nos sociétés n'étaient plus l'économie de marché mais les relations inter-individuelles (où un individu serait toute entité de la nature : un animal, une pierre, un arbre, un autre être humain, la Terre, etc..), plus tu aurais de relations inter-individuelles positives, plus tu serais riche !

Bon, on en est loin encore, mais ça ne veut pas dire qu'on ne peut pas commencer à marcher dans cette direction (et certaines rencontres, que nous avons fait avec Christophe au cours de ce voyage, montrent qu'il y a déjà sur cette planète des gens riches dans ce sens-là : pauvres d'argent mais riches de générosité, de bonté et de respect pour l'autre, pour la Terre, pour toute chose et tout être vivant).

La réalité actuelle et le présent immédiat impliquent un certain pragmatisme. Alors le premier et le plus important des pas à effectuer est de prendre conscience de cette situation, de ces liens et de ces caractéristiques de notre société que nous venons de montrer (le rapport richesses-pauvreté). Être conscient est indispensable au changement, ce n'est qu'à partir de là que l'on pourra chercher à changer les choses.

Quand on en est là, deux accusations reviennent souvent :
1) ''Mais tu es communistes alors ! Tu veux faire la révolution ?! Tu sais pas ce qui s'est passé avec Staline ?? Tu es proches des trotskistes, de Laguiller et de Besancenot !''. Voilà comment on répond par la rhétorique, en décrédibilisant un discours aux yeux des gens, en associant démagogiquement une critique lucide et justifiée à un courant, mouvement ou parti politique qui apparait comme extrême et donc peut-être dangereux. Les critiques et idées n'appartiennent pas à une personne, on se les approprie et les utilise à bon ou mauvais escient. Les idées ne doivent pas périr sous les actes de fous.
2) ''Et qu'est-ce que tu proposes alors ?''. Ce qui correspond à la technique de l'autruche : ''si personne ne me donne la solution toute faite au problème, alors je fais comme s'il n'y avait pas de problème ; je veux un messie qui me guide, je ne veux rien faire par moi-même''.

Non ! Changeons ! Choisissons de changer ! Sinon nous sommes complices. Et dans les faits, individuellement faisons ce que l'on peut à notre échelle, petit à petit, et collectivement mettons-nous à chercher une solution, des solutions (6)!

(1) Cf http://www.monde-diplomatique.fr/2006/03/A/13262
(2) Lire l'article de Pierre Rimbert ''A quoi servent-ils ?'' http://www.monde-diplomatique.fr/mav/99/RIMBERT/15928
(3) Cf Canard Enchaîné du mercredi 7 février
(4) Pour se faire une idée des rémunérations des dirigeants et parlementaires francais : http://www.linternaute.com/actualite/dossier/05/salaires-politiques/salaires.shtml
(5) Lire à ce sujet l'article de Anne-cécile Robert, ''Que s'est-il donc passé le 6 mai 2007 ?'' : http://www.monde-diplomatique.fr/2008/05/ROBERT/15902
(6) Sachant que plusieurs propositions existent déja depuis longtemps, telle la taxe Tobin, le SLAM, etc. Lire à ce sujet l'article ''Comment protéger l'économie réelle'' de Frédéric Lordon, http://www.monde-diplomatique.fr/2007/09/LORDON/15165

lundi 9 juin 2008

Recette


Fraises fraicheurs

Coupez vos fraises en quartiers, saupoudrez-les d'un peu de sucre en poudre et ajoutez un filet d'eau claire. Hachez menu un bouquet de menthe fraiche. Dans un saladier mélanger le tout puis mettre au frais 1h environ.

Dégustez ! ...

... et profitez-en pour réfléchir un instant : mais d'où viennent mes fraises ? en quelle saison sommes-nous ? est-ce normal de pouvoir manger des fraises à cette époque ? Hmm....et comment sont-elles cultivée ?

Les réponses à ces questions qui paraissent innocentes, aujourd'hui, très peu de personnes les savent, et ce tout simplement parce que nous ne nous posons plus ces questions. Lorsque nous achetons nos aliments au supermarchés, qui se demande d'où viennent-ils ? Ils sont là, un point c'est tout, la publicité m'a appris à aimer leur belle présentation sous emballage et à lui faire confiance : ''si ce produit est là c'est qu'il est sain et bons pour vous. Sinon vous imaginez-bien nous n'aurions pas le droit de le vendre !''. Voici l'argument sous-jacent qui valide toutes les bonnes-actions des bien-pensants qui nous nourrissent et qui influent discrètement mais de façon puissante sur nos gouvernants (1). Qui se pose encore la question des saisons ? Nos supermarchés n'en ont plus, toute l'année l'offre est la même et nous avons ainsi appris à oublier que les aliments sont produits de la terre et qu'ils doivent suivre un rythme approprié. Il paraitrait que ces mêmes supermarchés n'aient que répondu à une demande du consommateur (en bons petits élèves de la loi de l'offre et la demande : s'il y a demande, il peut y avoir profit, il faut donc qu'il y ait offre), mais alors même que cet argument saugrenu pourrait être facilement remis en cause, je vous proposerai plutôt de le comparer aux conséquences de cette habitude contre-nature d'aller à l'encontre des saisons.

Est-ce normal de pouvoir manger des fraises (ou des tomates par exemple) à toutes les saisons ? et comment sont-elles cultivée ? Voici les questions simples auxquelles nous devons répondre. La réponse à la première est bien évidemment non, puisqu'à l'origine chaque végétal à son rythme de croissance et de maturation et si l'on veut le cultiver il faut donc respecter ce rythme. Mais le progrès technologique nous ayant permis d'accomplir tant d'exploits et de folies, aujourd'hui aller à l'encontre de ce rythme naturel est devenu un jeu d'enfant. ''La quasi-totalité [des fruits que nous consommons en France] poussent [ainsi] dans le sud de l’Andalousie, sur les limites du parc national de Doñana, près du delta du Guadalquivir, l’une des plus fabuleuses réserves d’oiseaux, migrateurs et nicheurs d’Europe. (...) Cette « agriculture » couvre près de 6 000 hectares dont une bonne centaine empiète déjà en toute illégalité (tolérée) sur le parc national. Officiellement, 60 % seulement de ces cultures sont autorisées ; les autres sont des extensions « sauvages » sur lesquelles le pouvoir régional ferme les yeux en dépit des protestations des écologistes. Les fraisiers destinés à cette production, bien qu’il s’agisse d’une plante vivace productive plusieurs années, sont détruits chaque année. Pour donner des fraises hors saison, les plants produits in vitro sont enfournés en plein été dans des frigos qui simulent l’hiver pour avancer leur production. A l’automne, la terre sableuse est nettoyée, stérilisée, la microfaune détruite, avec du bromure de méthyl et de la chloropicrine. Le premier est un poison violent interdit par le protocole de Montréal sur les gaz attaquant la couche d’ozone signée en 1987 (dernier délai en 2005) ; le second, composé de chlore et d’ammoniaque est aussi un poison : il bloque les alvéoles pulmonaires en entraînant de violentes douleurs. (...) Qui s’en soucie ? [personne car] la plupart des producteurs de fraises andalouses emploient une main d’œuvre marocaine ou roumaine, des saisonniers ou des sans-papiers sous-payés et logés dans des conditions précaires, se réchauffant le soir en brûlant les résidus des serres en plastique qui recouvrent les fraisiers au cœur de l’hiver'' (2)

Les conséquences sont donc lourdes. Si l'on voit d'abord aisément le non-sens écologique que cet article met en valeur, on en ressort aussi l'intolérable situation de ces travailleurs exploités et maltraités (dont les roumains font depuis peu parti de l'Union Européenne (3)), ou encore le manque à gagner pour les agriculteurs locaux concurrencés par cette agriculture industrielle sans scrupules. Et si nous parlons des fraises en Espagne, nous pourrions tout aussi bien parler des pommes en France (cultivées en serre chauffée au gaz tout au long de l'année, même en été !) ; et même généraliser à l'ensemble de notre alimentation (4). Un aliment ''bon'', est un aliment ''beau'' c'est-à-dire sans irrégularités, voici ce que nous nous sommes inscrit dans la tête...ou peut-être ce que certains ont introduit bien consciencieusement dans nos idées, valeurs et habitudes, à coup de marketing, de communication, de lobbying, de publicité, bref de tous les moyens ''bons''' et ''beaux'' que permettent l'économie de marché et en particulier son développement ultra-libéraliste. Mais le gout, l'intérêt nutritif, la logique de saison, tout a disparu : ''parce que le consommateur le demandait''. Et oui, tout est de notre faute, les industriels n'ont fait que répondre à notre demande, il parait. Mais aux vues de ces nombreux impactes négatif, le jeu en valait-il la chandelle ? Et peut-être que dans ce cas, si notre demande est une force d'influence si puissante que ça, nous pourrions changer la donne, non?

''Mais qu'est-ce que je peux y faire ?'' certains diront.
''Non mais c'est vrai, ça voudrait dire ne plus pouvoir acheter ses tomates au supermaché mais devoir aller au marché des producteurs locaux le dimanche matin alors que je fais la grasse-matinée ! Ça voudrait dire ne plus manger de tomates toute l'année, mais seulement durant la saison !! Ça voudrait dire payer beaucoup, beaucoup, beaucoup plus chère mon kilo de tomates ou de fraises !!! (4 euros au lieu de 2 euros, c'est-à-dire le vrai prix du travail laborieux d'un agriculteur consciencieux, et alors que le panier alimentaire ne représente plus que 14% du budget des ménages dans les pays développés contre 60% en Afrique susaharienne ou encore 41% en Roumanie) Non mais ce serait de la folie ! N'importe quoi l'autre !! c'est horrible de me demander ça !!!''

Ben voilà, vous avez la recette : commencer par ne plus acheter de fraises en hiver, puis de ne plus acheter n'importe quelle tomate (seulement bio, local et en saison), et généraliser petit à petit ce principe à tous vos achats, à votre vie quotidienne, à vos choix de tous les jours (ce qui est valable pour l'alimentation l'est aussi, dans un autre genre, pour tout autre objet de consommation). C'est aussi simple que ça !

Et puis en attendant, ne vous gênez-pas, la saison des fraises vient de commencer ! (5)

(1) Lire l'article de Marie Benilde ''Quand les lobbies (dé)font les lois'' http://www.monde-diplomatique.fr/2007/03/BENILDE/14557
(2) Cité de l'article de Claude-marie Vadrot, sur politis.fr : http://www.politis.fr/Fraises-espagnoles-un-bilan,3538.html . Voir aussi sur le meme sujet le documentaire ''We feed the world'' de Erwin Wagenhofer http://www.we-feed-the-world.fr/site.htm
(3) Cf article ''Roumanie : part 2'' sur http://www.roulib.blogspot.com/ sur la situation économique en Roumanie
(4) Lire l'article ''Comment le marché mondial des céréales s’est emballé'' par Dominique Baillard dans le Monde Diplomatique du mois de Mai 2008
(5) Pour connaitre les fruits et légumes de saison : http://fr.ekopedia.org/Fruits_et_légumes_de_saison