samedi 2 février 2008

L'individualisme exacerbé


« Un autre trait caractéristique de nos sociétés modernes est l’individualisme. C’est notamment à Adam Smith que nous devons cette approche. Dans ''La Richesse des nations, théorie des sentiments moraux'' – paru en 1776, un an après la fabrication des premières machines de Watt qui ont lancé la révolution industrielle -, un des ouvrages fondateurs des sociétés modernes, il se demande déjà : quel est le moyen de l’abondance croissante ?
Et il répond : la division du travail, c'est-à-dire la spécialisation de chaque travailleur à la réalisation d’une seule tâche. Ce principe permet en effet, en augmentant la rapidité et la dextérité et en réduisant les temps morts, d’accroître la productivité. En ce sens, Smith est le symbole d’un modèle social et politique basé sur l’individualisme comme réponse à la satisfaction grandissante des besoins. L’individualisme permet d’améliorer la productivité et donc la puissance, mais il encourage également la consommation. Smith explique ainsi qu’un égoïsme maximal est de l’intérêt matériel de chacun, mais aussi de celui de la société. Cette opinion justifiera le fort développement de l’individualisme qui suivra la révolution industrielle : il se retrouvera également dans le principe de propriété. Le partage des terres et la mécanisation autorisée par l’industrialisation atteindront en profondeur la relation de la communauté avec son environnement.
Si l’industrialisation accentue la dépendance des hommes entre eux par la spécialisation qu’elle provoque, elle renforce donc surtout l’individualisme, et la nouvelle puissance mise dans chaque main permet à l’homme d’entrer dans l’ère de l’abondance. Sa puissance individuelle ainsi décuplée, l’homme se voit libéré de nombreuses contraintes sociales et naturelles.
Mais cette puissance consommatrice, devenue désormais personnelle et non plus collective, favorise l’intérêt individuel au détriment de celui de la collectivité. En outre, l’impact de l’homme sur la nature s’en trouve accru, car chaque individu est en mesure de polluer ou de consommer à volonté, tout en négligeant sa responsabilité, car inconsciemment il la délègue encore à la collectivité. En quelque sorte, l’individu accepte volontiers la puissance mise entre ses mains par le pouvoir d’achat dont il dispose, mais il n’accepte pas les responsabilités que cette puissance engendre. Avec l’exacerbation de l’individualisme et de l’appétit de consommation, la question du sens apparaît plus hésitante : le sens de l’homme devient une quête individuelle détachée du sens du monde naturel.
»

« Les sociétés traditionnelles au secours des sociétés modernes », Sabine Rabourdin, 2005, ed delachaux et niestlé

P.S : Bon, j’ai fortement hesité à surligner en gras certains termes, date ou phrases, mais finalement je vous laisserai le libre arbitre sur l’importance à porter à chaque information que nous donne cet extrait (qui me parait, personnellement, sacrement important nom d’un nain de jardin!)

1 commentaire:

Anonyme a dit…

La notion d’individualisme, plus spécialement l individualisme exacerbe, est Très bien choisie pour nous faire réfléchir sur nous et sur nos sociétés.
En fait, l individualisme a façonné notre environnement et notre société et nos modes de pensée. Par exemple, le choix de développer l industrie et l infrastructure des autoroutes pour la voiture individuelle contre les transports de masse


« On peut dater l’origine de l’individualisme moderne du Quattrocento de la Renaissance italienne. Il s’agissait, certes, d’une libération, mais elle fut payée par la rupture de la cohésion culturelle de la société médiévale. La classe « cultivée », férue d’humanités antiques, s’est détachée alors du peuple pour rechercher la « distinction » qui culminera à la Cour des rois .
La première formulation explicite de l’individualisme se rencontre chez Montaigne : « C’est moy que ie peinds (...) ie suis moy-mesme la matiere de mon Liure » ; cette affirmation sera reprise par Rousseau : « Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature ; et cet homme ce sera moi ».
L’individualisme a rencontré de vigoureuses résistances. Pascal contredira Montaigne : « Le moi est haïssable[ ». Au XXe siècle l’individualisme devra lutter contre la coalition hétéroclite, mais puissante, du marxisme, de la psychanalyse, de la sociologie, de la linguistique et du surréalisme[9]. Il finira cependant par s’imposer vers la fin du siècle avec le triomphe du libéralisme économique
Lorsque l’individualisme arrive en bout de course, l’émotivité (fondée sur l’indifférence envers autrui) s’associe à la superficialité (fondée sur l’indifférence envers la nature) pour soutenir le culte de l’abstrait. Le rapport immédiat entre les individus ou entre eux et la nature disparaît

Adam Smith a bâtie La théorie économique sur l’individualisme méthodologique (terme crée par Joseph Schumpeter en 1908). L'individualisme méthodologique repose sur l'idée que les ensembles sociaux sont des métaphores qui n'existent que dans l'esprit humain et n'ont pas d'autre substance que celle des individus qui les composent. Leur prêter certains attributs des individus (des motivations, une volonté, une possibilité d'action autonome) est donc un abus de langage.
Au sens large, on peut caractériser l'individualisme méthodologique par trois propositions qui postulent que :
1. seuls les individus ont des buts et des intérêts (principe de Popper-Agassi) ;
2. le système social, et ses changements, résultent de l'action des individus ;
3. tous les phénomènes socio-économiques sont explicables ultimement dans les termes de théories qui se réfèrent seulement aux individus, à leurs dispositions, croyances, ressources et relations.
La proposition 3. est celle qui caractérise l'individualisme méthodologique au sens strict, puisque les propositions 1. et 2. sont d'ordre ontologique.

individualisme
Processus au cours duquel l'individu s'affranchit de plus en plus des règles et des valeurs issues de la conscience collective.
Définition 2[0]
Le mot d'individualisme peut avoir plusieurs sens :
• Au sens courant et restreint, le mot désigne l'égoïsme, l'individualiste ne pensant qu'à lui sans se préoccuper des autres.
• Au sens politique, c'est une conception de la vie en société dans laquelle l'individu constitue la valeur centrale, d'où l'importance accordée aux libertés individuelles et aux droits de la personne ; l'individualisme est ainsi d'origine démocratique, son symbole est la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
• Au sens sociologique, l'accent est mis sur l'autonomie de l'individu par rapport aux règles collectives, l'individu s'affranchit de ces normes imposées par d'autres, des tutelles traditionnelles qui pèsent sur son destin : en ce sens, l'individualisme est un processus d'émancipation à l'image du féminisme au cours du XX° siècle.
Enjeux 0[0]
Quatre interrogations peuvent accompagner la montée de l'individualisme dans les sociétés modernes :
• Un danger pour la démocratie ? ou la crise de la citoyenneté.
C'est déjà l'approche de Tocqueville qui voit l'individualisme comme un repli sur la sphère privée et un abandon de la sphère publique, de la participation à la vie de la cité. Ce repli pourrait laisser la place libre à une "tyrannie douce" dans laquelle les individus sont pris en charge et n'exercent plus leurs pouvoirs.
• Un danger pour la cohésion sociale ? ou la crise du lien social.
C'est la crainte de Durkheim à la fin du XIX° siècle, témoin du déclin de la société traditionnelle rurale et paysanne et de certaines institutions comme l'Eglise. Est posée la question du respect des valeurs et des normes communes, le risque de rejet de ce qui est imposé par d'autres, du refus de toute entrave au choix personnel et individuel.
• La fin du changement social ? ou la crise des mouvements sociaux.
Est posé le problème de l'action collective : dans une société caractérisée par la montée de l'individualisme, comment des conflits collectifs peuvent-ils se dérouler ?
• La fatigue d'être soi ? ou la crise de l'être moderne.
L'individu gagne en liberté mais il perd en solidité et en certitude ; sa responsabilité dans la construction de sa vie le rend fragile, inquiet.
Tendances 0[0]
A partir des XIV° et XV° siècles, avec la Renaissance, émerge une nouvelle manière de vivre et de concevoir sa destinée, de maîtriser sa vie en étant libre et responsable : l'individualisme est indissociable de la modernité et de la démocratie.
Petit à petit, ce processus permet d'arracher l'individu à l'emprise de la communauté afin de prendre en charge son propre destin, de construire son être, d'effectuer des choix personnels ; il s'affranchit des normes de la religion, de la tutelle de l'Etat, du travail, de la famille. L'individu moderne est désormais seul face à lui même, face à sa destinée : en ce sens, il est « un citoyen orphelin de père, de prince et de Dieu » (C.Delsol - université Marne la Vallée) .
La montée de l'individualisme se confirme avec l'avènement de la société industrielle et au cours du XX° siècle, en particulier dans la décennie des années soixante qui renforce le libéralisme culturel et la permissivité de la société, le symbole en étant mai 68 en France. L'observation d'une généralisation de l'individualisme conduit de nombreux philosophes et sociologues à parler de sociétés désormais post-modernes, où l'individu devient le centre de l'organisation de la société (avec le développement du droit des personnes -dit droit subjectif-, l'affirmation des réseaux sociaux aux détriments des groupes sociaux, etc.)


Indicateurs 0[0]

Il n'est pas facile d'associer l'individualisme à des indicateurs, principalement parce qu'il existe plusieurs interprétation de cet individualisme des sociétés contemporaines, comme nous l'avons vu dans la définition. Si l'on reprend les quatre questions que l'on a posées dans la rubrique "enjeux", on peut donner quelques indicateurs :
• pour la crise de la citoyenneté, on peut utiliser la hausse du taux d'abstention lors des consultations électorales. Mais n'oublions pas que la vie démocratique ne se résume pas au calendrier électoral.
• pour la crise du lien social, on peut utiliser la montée des incivilités, le moindre respect du code de la route, par exemple. Mais la crise est aussi une destruction créatrice de nouvelles valeurs, normes.
• pour la crise de l'action collective : on peut utiliser la diminution du nombre de conflits du travail. Mais l'individualisme n'est pas un simple isolement ou ne relève pas que de l'intérêt corporatiste : comme vecteur d'émancipation, il est aussi moteur de mouvements sociaux, de revendications collectives et mobilisatrices, comme a pu l'être le mouvement féministe, porteur de changements et de ruptures majeures dans la seconde moitié du XX° siècle.
• pour la crise de l'être moderne, on peut utiliser les indicateurs mettant en évidence la montée du stress, des troubles psychologiques, de la dépression.
A côté de ces indicateurs, dont la signification n'est pas toujours univoque, on peut proposer d'autres approches, mais qui restent très parcellaires:
• Il existe des enquêtes de l'INSEE recensant les temps de sociabilité des français (nombre de personnes rencontrées en une journée, temps consacré à la discussion, nombre de sorties collectives, etc.). Elles renseignent sur le degré d'intégration des personnes et peuvent aussi servir à "mesurer" l'individualisme entendu comme un repli sur soi.
• On peut utiliser des données de consommation , notamment les consommations de loisirs, pour montrer les évolutions des pratiques individuelles et des pratiques collectives.
• On peut enfin utiliser les statistiques portant sur l'adhésion à des associations.
Erreurs Fréquentes 0[0]
Trois erreurs essentielles :
• ne retenir de l'individualisme que son sens courant et restreint : l'individu égoïste, replié sur soi. Dans ce cas, on confond individualisme et égoïsme.
• ne retenir que les dangers qui accompagnent la montée de l'individualisme à travers les crises de nos sociétés modernes, voire leur déclin annoncé. L'individualisme est aussi un facteur de dynamique et de construction d'une nouvelle société : la liberté ne s'oppose pas à la solidarité, l'autonomie ne conduit pas à l'isolement. On ne peut fonder le sens de sa vie en dehors du lien à autrui.
• penser que l'individualisme est achevé : utilisé par des sociologues, le mot désigne un processus, un mouvement, caractéristique des sociétés modernes démocratiques.
En Savoir Plus 0[0]
http://brises.org/notion.php/Notion/index/notId/97/notBranch/97
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